275 : Imp. Caes. L. Domitius. Aurelianus Aug. III, (Iulius) Marcellinus coss.

Les cérémonies du troisième consulat d'Aurélien concluent cette période de grandes fêtes. La 11e émission de l'atelier de Rome est celle du troisième consulat (janvier 275) ; Rome est alors le seul atelier de l'empire, et la 11e émission la seule série, où sont émises toutes les dénominations monétaires prévues par la réforme.

La campagne en Rhétie et le départ pour la guerre gothique (printemps-automne 275)

L'empereur quitte la capitale au printemps 275 et traverse les Alpes pour se rendre en Rhétie. L’Histoire Auguste rapporte que la région d'Augsbourg/Augusta Vindelicum était en butte aux ravages des barbares, probablement de nouveau les Alamans et les Juthunges. D’autres sources (Zonaras, Georges le Syncelle) rapportent des troubles en Gaule à la fin du règne d’Aurélien. Leur témoignage ne permet pas de déterminer si l’agitation en Gaule était due à des causes extérieures ou internes : le retour des courses barbares sur un territoire que les généraux-usurpateurs du Rhin ne protégeaient plus, ou le mécontentement des populations civiles confrontées aux conséquences de la reconquête, mesures de rétorsion politiques, sanctions économiques, voire fiscales et monétaires. L'Histoire Auguste fait allusion à la répression d'une révolte à Lyon même.

L’activité de la Monnaie de Lyon, réduite mais régulière, ne laisse pas pressentir des troubles dans la ville qui auraient perturbé son fonctionnement. Mais d’autres indices montrent la persistance de difficultés, soit militaires, soit civiles, entre Alpes et Rhône : un peu plus tard, au début de 276, sous le règne de Tacite, le transfert de l’atelier monétaire de Lyon à Arles semble avoir été programmé – sinon réalisé – comme l’atteste le passage de la marque d’atelier L(ugduni) à la marque A(relate) au revers des monnaies. Au même moment, une partie du personnel monétaire de Lyon dut être repliée en Italie du nord sur l’atelier de Ticinum car la main d’un graveur lyonnais y est identifiable.
Quant aux mesures de rétorsion économique, elles furent bien réelles. Les autres régions de l’empire bénéficiaient de l’afflux des aureliani réformés qui venaient remplacer le mauvais billon des règnes de Gallien et de Claude, décrié à la suite de la réforme du printemps 274. Les provinces occidentales quant à elles, durent se contenter pendant toute la fin du IIIe siècle et jusqu’au premier tiers du IVe siècle de mauvais antoniniens radiés. L’autorité monétaire y organisa d’abord la pénurie, en ne frappant l’aurelianus qu’en quantité réduite : les trésors montrent que l’essentiel du numéraire en circulation est alors constitué par les frappes dévaluées des derniers empereurs gaulois, Victorin et Tétricus, et leurs millions d’imitations. Puis, après le rappel officiel du monnayage des empereurs gaulois qui n’eut lieu qu’à la fin du règne de Probus (ca 283), l’Ouest de l’empire ne fut pas davantage approvisionné en espèces fraîches et de bonne qualité métallique : on y injecta à cours forcé les mauvais antoniniens de Gallien et de Claude II, rappelés et récupérés partout ailleurs dans l’empire. Ils y connurent une large circulation secondaire.

Des nouvelles alarmantes venues d’Asie Mineure forcent Aurélien à quitter le théâtre des opérations de Rhétie et de Gaule, alors que la campagne contre les Germains n’est pas encore achevée : afin de protéger l’arc alpin et les accès vers la Lugdunaise et l’Italie du nord contre les barbares, il laisse certains de ses généraux ou de ses vicaires dans les provinces occidentales, parmi lesquels Tacite, le futur empereur, qui sera salué du titre de Germanicus maximus peu après son avènement. Pendant l'été 275, Aurélien reconstitue une armée en Illyricum et se dirige vers l'Orient par la grande voie militaire des Balkans. Il ne s'agit pas là d'une campagne contre les Perses comme le voudrait l'Histoire Auguste, mais d'une expédition contre des Goths pontiques qui ont envahi l'Asie Mineure ainsi que l’indiquent les sources grecques. En effet, après l’assassinat d'Aurélien, ses successeurs n’auront pas à mener de campagne contre les Sassanides, mais Tacite, puis Florien et enfin Probus avant même son accession, devront guerroyer contre ces bandes gothiques qui ont traversé l'Asie mineure à partir du Pont jusqu'en Cilicie.

L’assassinat d’Aurélien et l’interrègne de Séverine (Septembre - Novembre 275)

Aurélien tombe victime d'un complot militaire alors qu'il se trouve encore sur la rive européenne, à Caenophrurium, à proximité de Périnthe. Ses assassins sont des officiers subalternes : seul le nom de leur chef, un certain Mucapor nous est transmis ; les sources les plus explicites évoquent un complot où figurent des tribuns ou des prétoriens. L’assassinat d’Aurélien date au plus tôt de la mi-septembre 275 : les tétradrachmes égyptiens datés de son an 7, c’est-à-dire émis postérieurement au 29 août 275, ne sont pas rares et la nouvelle de sa mort n'est pas encore parvenue en Oxyrhynchite à la date du 19 octobre 275. À la différence de l’assassinat de Gallien, dans lequel avaient trempé à peu près tous les généraux de premier plan, l’élimination inattendue d’Aurélien par des officiers subalternes laisse l’état-major dans l’embarras pour lui trouver un successeur. L'impératrice Séverine assure un régence de fait jusqu'au moment où Tacite revêt les insignes du pouvoir (mi-novembre 275), c'est-à-dire pendant approximativement deux mois, comme les documents papyrologiques l’attestent aussi.

Les sources historiographiques taisent le rôle de l'Augusta pendant cette transition du pouvoir, préférant développer le mythe d'une « élection » de Tacite par le Sénat romain, un thème longuement développé par l’Histoire Auguste. Mais les six ou sept mois d’interrègne mentionnés par les sources latines résultent d’une confusion volontairement entretenue entre une période, réelle, de vacance du pouvoir, et les brefs règnes de Tacite et de Florien quasi quidam interreges inter Aurelianum et Probum (HA, V. Tac. 14, 5). Les frappes monétaires révèlent qu’il y eut effectivement après la mort d’Aurélien une période d’intérim, mais qu’il fut géré par l’impératrice Séverine.

Dès la fin de 274, date de la célébration du triomphe d’Aurélien sur l’Orient et l’Occident, une place exceptionnelle est faite à l'Augusta Séverine. Elle apparaît systématiquement aux côtés d’Aurélien dans le monnayage : jamais, à l’exception significative de Salonine, l’épouse de Gallien, on n’avait vu une impératrice être associée aussi régulièrement aux émissions monétaires, y compris sous la dynastie sévérienne où le poids politique des princesses syriennes est considérable. La place des revers traditionnels réservés aux impératrices célébrant leur fécondité est, dans l’iconographie réservée à Séverine, réduite au minimum (Venus Felix sur les deniers, Iuno Regina sur les as, monnaies peu frappées donc peu répandues). En revanche, le numéraire courant, les aureliani, et la monnaie de prestige, l’or, font de Séverine l’incarnation de la Concorde et en particulier de la Concorde des soldats.

Pour l’organisation de la frappe monétaire, on constate que depuis la fin de 274, certaines officines au sein des ateliers sont entièrement dédiées à la frappe au nom de Séverine (Lyon, émissions 2-4 ; Rome, émissions 10-11 ; Ticinum, émission 4). Après la mort d’Aurélien, cette situation de partage des officines n’existe plus : à Lyon, une 5e émission est frappée pour laquelle on ne connaît de monnaies qu’au nom de Séverine ; à Rome, une 12e émission, où l’impératrice monopolise les six officines en fonction ; à Ticinum une 5e émission, où, de manière identifique, les six équipes travaillent toutes exclusivement pour Séverine : l’impératrice en tant que régente exerce seule le pouvoir et le droit monétaire.
Plus largement, c’est dans l’empire tout entier et dans les huit ateliers en fonction à l’automne 275 qu’on peut identifier des émissions monétaires au nom de Séverine seule souveraine. L’atelier de Serdica frappe au nom de Séverine seule en développant sa titulature sous la forme Severina Augusta. L’atelier d’Antioche inclut exceptionnellement dans la nomenclature de l’Augusta les épiclèses P(ia) F(elix), normalement réservées aux empereurs ; au revers, la légende monétaire passe du pluriel Concordia Augg (Augustorum) au singulier, Concordia Aug, à traduire par Concordia Augustae ; le type ne présente plus Aurélien serrant la main de Concordia, revers banal au cours du règne, mais un personnage masculin anonyme, désormais dépourvu de couronne laurée et de sceptre, serrant la main de Séverine, bien reconnaissable à sa coiffure caractéristique et représentée d’une taille supérieure. À Alexandrie, la frappe au nom de Séverine s’est poursuivie alors que l’atelier avait reçu la nouvelle de l’assassinat d’Aurélien et cessé d’émettre pour lui : les chiffres cumulés des trésors exploitables trouvés sur le site de Karanis donnent pour l’an 7 d’Aurélien (après le 29 août 275), 5 tétradrachmes au nom d’Aurélien pour 25 au nom de Séverine.

Enfin, la typologie monétaire met l’accent sur le rôle politique exceptionnel joué par Séverine. Le registre iconographique est pour Séverine chargé de connotations martiales. Avant même la mort d’Aurélien, l’impératrice incarnait déjà dans le monnayage la Concorde militaire. Après l’assassinat d’Aurélien, Séverine seule régente adopte comme type monétaire dominant celui de la Concordia Militum. L’épigraphie nous confirme cette implication de l’impératrice dans le domaine militaire. Sur une inscription de Thrace ( 1927, 81) Séverine est qualifiée de Divine Victoire. Dans une inscription de Pola (CIL V, 29), elle est désignée comme mater castrorum. Dans une inscription de Tarragone (1930, 150) elle cumule les qualités de mater castrorum et senatus et patriae, c’est-à-dire qu’elle porte, au féminin, des titres réservés aux empereurs. Ce sont des titres qu’avaient assumés avant elle les princesses sévériennes, Julia Domna, Julia Maesa, Julia Aquilia Severa, Julia Mamaea (CIL II, 3413 : mater domini n. [...] et castrorum et senatus et patriae et universi generis humani), qui jouèrent un rôle politique de premier plan dans la vie de la dynastie. Les épithètes de P(ia) F(elix) que porte Séverine lorsqu’elle assume seule la régence vont dans le même sens : elles sont réservées normalement à l’empereur, et on ne les retrouve dans la titulature monétaire des impératrices que pour Julia Domna, Salonine et Séverine.

En dehors du numéraire ordinaire de billon argenté, l’interrègne de Séverine se lit tout aussi clairement à travers la frappe de donativa d’or qui eurent lieu dans divers ateliers impériaux : à Rome, Ticinum, Siscia et Cyzique : d’Orient en Occident, des libéralités furent prévues après l’assassinat d’Aurélien à destination des armées et elles furent faites au nom de l’impératrice mater castrorum, avec l’appel à la Concorde des soldats (Concordiae Militum), pour seul revers. Ces libéralités distribuées en or démontrent que la succession d’Aurélien est en suspens, et cela loin des cercles sénatoriaux de Rome : elle se joue dans les états-majors des différentes armées. Le patronage de l’Augusta, l’appel à la loyauté – payée en or – des soldats révèlent l’âpreté des négociations qui eurent lieu pour trouver un successeur à Aurélien au sein de la caste militaire dont il était lui-même issu. L’accession au pouvoir de Tacite dans ce contexte reçoit un tout autre éclairage. Le fait que Séverine s’efface finalement devant Tacite, que les armées n’aient rien fait pour contester ce candidat renforce l’hypothèse d’un Tacite plus proche de l’entourage militaire d’Aurélien que des cercles sénatoriaux : la monnaie permet des constats qui vont dans ce sens.

Les sources historiques et l’origine de Tacite

En dehors de la campagne gothique, nous ne savons presque rien du règne de Tacite par les sources écrites. Aurélius Victor restitue les éléments d’information qu’il a trouvés dans l’EKG : un interrègne de six mois eut lieu après la mort d’Aurélien pendant lequel le Sénat et l’armée lui cherchèrent un successeur ; le Sénat finalement donna son investiture à Tacite, un consulaire. L’Histoire Auguste s’empare de ce thème pour lui donner d’amples variations, d’une historicité à peu près nulle. Du côté des sources latines, on notera sur ce point le silence d’Eutrope. Les sources grecques pour leur part ne rapportent rien d’un interrègne, ni de l’appartenance de Tacite à l’ordre sénatorial, ni d’un éventuel retour au rôle du Sénat dans le choix d’un prince.

Les historiens modernes ont essayé de rassembler des preuves objectives d’une « restauration sénatoriale » voulue par Tacite, en conformité avec les récits de l’Histoire Auguste. Or sur ce point, le dossier, essentiellement appuyé sur les monnaies, est à peu près vide. Pour l’épigraphie, on ne peut s’appuyer sur le milliaire d’Ardèche (CIL XII, 5563) qui donne à Tacite le titre verae libertatis auctor. Cette liberté peut difficilement concerner le Sénat de Rome : ou l’inscription fait allusion à la victoire fraîchement remportée par Tacite sur les barbares alamans qui libère le territoire de Narbonnaise de leur menace, ou, plus certainement, elle concerne des privilèges fiscaux accordés par le nouvel empereur à la province de Narbonnaise ou à certaines de ses cités. En effet, les données épigraphiques démontrent qu’au IIIe siècle de n. è., la libertas d’une cité recouvrait des privilèges divers, et tout particulièrement des immunités fiscales. Par ailleurs les légendes monétaires Libertas, Liberalitas et Ubertas recouvrent des notions assez floues ; ces divers termes apparaissent comme interchangeables au revers des monnaies. La monnaie de Tacite au revers Libertas Aug (Cohen 54 ; RIC V.1, 335/91), parfois citée à l’appui de l’hypothèse d’un retour aux privilèges du Sénat, n’a jamais existé : il s’agit d’une monnaie de Rome, à la légende Ubertas Aug mal lue.

Le titre Pacator Orbis donné à Tacite (CIL VIII, 10072) se réfère aux victoires impériales : Tacite reprend là un titre déjà revêtu par Aurélien au revers des monnaies de Trèves et de Lyon. Même connotation purement militaire pour Restitutor Orbis (Lyon, 3e émission) ou Restitut Orbis (Antioche, 1re émission) qui décalquent fidèlement les types monétaires d’Aurélien. La légende Securitas•P•R qu’on retrouve au revers de très rares monnaies de Ticinum, 1re émission, est sans doute abusivement développée en Securitas P(opuli) R(omani) : il s’agit plutôt d’erreurs de gravure – on trouve aussi la graphie aberrante Securit•Per•P – du type ordinaire Securit Perp. Le médaillon à la légende Restitut•Rei•Publicae émis à Rome, souvent cité pour alimenter l’idée d’un retour aux pouvoirs du senatus populusque Romanus, figure en fait une scène banale de restitutio orbis où l’on voit l’empereur en costume militaire relever l’Oikoumène agenouillée. Il faut souligner qu’il est issu du même coin d’avers, et donc strictement contemporain, qu’un médaillon au type solaire Soli Invicto figurant Sol dans son quadrige et des médaillons aux types pleinement militaires Virtus Augusti, Hercule couronnant un trophée et Adlocutio Augusti, l’Empereur haranguant les soldats. Enfin, ce n’est pas l’atelier de Rome, mais les ateliers balkaniques et orientaux qui apposent, et cela sur des monnaies d’or, la marque S(enatus) C(onsulto), trop souvent interprétée comme un retour au privilège monétaire du Sénat alors que ce privilège, purement théorique depuis le début de l’Empire se limitait au bronze, et au bronze émis à Rome.
De manière générale, si l’imagerie monétaire en vigueur sous Tacite, en particulier avec l’invocation incantatoire à l’Éternité de Rome, Romae Aeternae, marque le retour à une certaine orthodoxie religieuse qui s’écarte du théocratisme solaire d’Aurélien, il apparaît clairement qu’elle ne marque aucune rupture avec les thèmes ordinaires de la seconde moitié du IIIe siècle. Tacite à son accession est un consulaire, mais issu de la classe équestre, et en aucune manière un champion de la cause sénatoriale.

L’accession et l’itinéraire de Tacite. Les émissions de Lyon, Rome et Ticinum

Sur le statut de Tacite et son itinéraire jusqu’à Rome, la monnaie fournit un témoignage très cohérent mais en totale contradiction avec la tradition historique moderne qui se fonde sur les récits de l’Histoire Auguste. L’examen des émissions monétaires des trois ateliers occidentaux, Lyon, Rome et Ticinum montre que Tacite, au moment où Séverine exerce un rôle d’impératrice intérimaire, est d’abord retenu au nord des Alpes par les suites de la campagne militaire contre des peuples germaniques, Alamans et Juthunges ; qu’il se rend à Rome en décembre 275 pour obtenir sa reconnaissance du Sénat, avant de partir en Italie du nord au début de 276, où il célèbre son deuxième consulat et ses victoires germaniques. La frappe au nom de Tacite, en effet, débute à Lyon, et par un important donativum d’or. Cette libéralité, destinée à asseoir la légitimité du nouvel empereur auprès des troupes, est distribuée en présence de Tacite : à la différence des ateliers italiens qui offrent dans leurs premières émissions une effigie juvénile et peu actuelle de Tacite, Lyon présente dès cette première série le portrait véritable et définitif du successeur d’Aurélien. L’existence dans cette émission de bustes cuirassés à gauche « à manche relevée », raccourci du geste impérial de salut lors d’un adventus, est un autre indice de la présence impériale à Lyon. Par ailleurs l’émission d’or et la série parallèle d’aureliani sont d’une coloration nettement guerrière : les bustes militaires où Tacite tient lance et bouclier exaltent la Virtus d’un empereur combattant, et non d’un sénateur cantonné à des tâches civiles.

Le monnayage de Lyon montre qu’à la mort d’Aurélien, Tacite est choisi comme son successeur dans le cercle de son état-major : entre plusieurs candidats possibles, le statut de consulaire dont jouissait Tacite depuis 273, année où il géra le consulat avec Julius Placidianus, a probablement joué en sa faveur. Zonaras ne dit pas autre chose, lorsqu’il indique qu’à la mort d’Aurélien, c’était l’armée qui avait proclamé Tacite en son absence : une procédure autrement plus normale, si on la réinsère dans le contexte de la succession des empereurs-soldats, que l’improbable séance du Sénat mise en scène par l’Histoire Auguste. Appelé à la pourpre, Tacite met fin aux opérations militaires sur le limes germano-rhétique, se rend à Lyon où est émis le donativum d’or qui fête victoire, accession et adventus, puis se rend de là à Rome pour obtenir sa reconnaissance par le Sénat.

Dans les ateliers de Rome et de Ticinum, le style du portrait impérial des premières séries monétaires au nom de Tacite montrent que, à la différence de Lyon, elles ont été préparées in absentia. L’homme qui y apparaît, drapé du paludamentum comme il est d’usage lors d’une accession, est d’apparence juvénile. Par contre, dès la 3e émission de Rome et la 2e émission de Ticinum, on assiste à une rectification spectaculaire du portrait : c’est bien le même personnage qui est représenté, désormais le plus souvent cuirassé ou en nudité héroïque, mais l’effigie s’est alourdie et les traits empâtés. Cette évolution rapide du portrait prouve qu’à Rome, on n’avait jamais vu Tacite avant sa proclamation et son arrivée dans la péninsule, contrairement à ce que prétend l’Histoire Auguste.

À Rome, où Séverine lui cède le pouvoir, des émissions importantes marquent l’arrivée de Tacite. Cet adventus a lieu en décembre 275, comme le prouvent des deniers émis sur coins d’aurei datés P M Tr P II Cos P P : la deuxième puissance tribunicienne de Tacite est postérieure au 10 décembre 275 ; il revêt son deuxième consulat le 1er janvier 276. Le revers de ces deniers, fait important, présente l’image de l’empereur Tacite en imperator vainqueur : revêtu du costume militaire, cuirasse et paludamentum, entre deux enseignes militaires. Le donativum comporte aussi la distribution au public de deniers, de quinaires et d’as dont la typologie est remarquable : Mars Vltor et Victoria Aug font allusion à l’esprit de vengeance qui anime Tacite et son armée contre la faction militaire responsable de la mort d’Aurélien, ainsi qu’à une victoire impériale déjà acquise par Tacite au moment où il fait son entrée à Rome. La référence à une victoire militaire remportée par Tacite avant son arrivée à Rome, la célébration de son adventus dans la capitale après sa proclamation, ruinent l’hypothèse d’un Tacite, princeps senatus présent à Rome lors de son élection par ses pairs, ou sénateur retiré des affaires revenu de sa retraite campanienne et pénétrant à Rome sous les habits d’un simple particulier. Le monnayage pour sa part évoque sans ambiguité l’arrivée à Rome d’un Tacite déjà empereur et, qui plus est, dans l’appareil d’un général vainqueur.

La célébration de la victoire germanique et du second consulat de Tacite (janvier 276)

Tacite, pour aller quêter sa reconnaissance à Rome, avait renoncé provisoirement à se rendre en Asie Mineure où l’appelait la guerre gothique. Il laisse à ses généraux le soin de mener la campagne contre les Goths ; son préfet du prétoire Florien se trouve peut-être déjà alors en Anatolie. Des succès rapides y sont remportés, car le revers Victoria Gotthi(ca) apparaît dès la fin de la première émission d’aureliani de Ticinum, c’est-à-dire fin 275.

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